A la suite des 2 derniers articles du dossier sur la Psychologie au travail, il nous paraissait essentiel de vous faire part du point de vue avocat autour de la législation de la pratique du bleisure.
Nous avons ainsi interviewé 2 avocats : Maître Emmanuelle LLOP et Maître Marie-Laure TARRAGANO, toutes deux avocats au barreau de Paris et respectivement spécialistes du droit du tourisme et du droit du travail. Elles nous ont permis de mettre en lumière les informations essentielles à connaître concernant la pratique du Bleisure, tant pour l’entreprise que pour le collaborateur.
Grâce à leurs savoirs et connaissances associés aux réponses récoltées de nos différents questionnaires, le côté légal du bleisure n’aura plus aucun secret pour vous !
Oubliez les on-dit sur le Bleisure et lisez attentivement…
Les spécialisations et domaines d’interventions de nos avocats ont permis de mettre en évidence les principales problématiques juridiques autour du bleisure : manque d’information, frontières fines entre code du tourisme et code du travail, responsabilité entreprise vs. liberté du collaborateur…
Maître LLOP et Maître TARRAGANO nous donnent leurs points de vue respectifs autour de la maîtrise du bleisure en entreprise et les solutions pour atteindre une acceptation globale de cette pratique en alliant contrôle, sécurité et confiance.
Cet article sera composé des “grandes questions” que nous entendons très régulièrement à travers nos diverses professions. Bleisure.fr a donc pris le parti de reprendre les bases du côté juridique autour de notre tendance et de vous donner la solution détaillée d’une bonne maîtrise du bleisure collaborateur.
Le voyage d’affaires est régi par le contrat de travail, le collaborateur n’étant pas en vacances, tout ce qui peut se passer au cours du déplacement semble sous l’autorité du droit du travail.
Le droit du tourisme est également concerné. Cependant le statut du voyageur va être modifié : jusqu’au 1er juillet 2018 le voyageur d’affaires est considéré comme un “touriste classique”, bénéficiant de la protection de toutes les obligations des vendeurs de prestations touristiques comme de celles qui résultent du droit à la consommation.
Le Code du Tourisme applicable à partir du 1er juillet 2018 implique à présent que si l’entreprise a conclu une convention-cadre avec l’agence de voyage, le voyageur d’affaires ne bénéficie plus de la protection du code du tourisme. Le Code du tourisme ne s’applique alors pas au voyage d’affaires faisant l’objet d’une convention-cadre entre l’agence de voyage et la société.
Dans la mesure où la société conclut le contrat, c’est donc elle qui bénéficie d’une indemnisation en cas de non-conformité, incidents aériens (modifications de vols, grèves, etc). Désormais, toute la protection destinée au voyageur ne bénéficiera plus à l’entreprise ni a fortiori au collaborateur. Il s’agira d’appliquer les dispositions du droit commun, c’est-à-dire du droit civil (ou le droit de la consommation selon les cas).
En somme, s’il y a une mauvaise exécution à déplorer au détriment de la société, nous reviendrons à la protection de droit commun (droit contractuel). Et s‘il y a préjudice, il sera contractuel pour l’entreprise et personnel pour le salarié sur la base du contrat du voyage d’affaires.
Comme l’ajoute Maître TARRAGANO, ce sont en effet 3 réglementations qui entrent en compte : le code du travail, le code du tourisme et le code de la sécurité sociale peuvent avoir vocation à s’appliquer en cas d’accident.
Aucune définition légale, juridique ou conventionnelle du voyage d’affaires n’existe à ce jour. Maître TARRAGANO souligne qu’aucune définition dans aucune convention collective ne s’applique actuellement au voyage d’affaires mais que tout laisse à croire que la tendance va faire émerger des dispositions. Aujourd’hui c’est à l’employeur de l’encadrer précisément : si ce n’est pas le cas, sa responsabilité sera retenue vu la présomption et cela peut rapidement devenir problématique.
RAPPEL DE MAÎTRE TARRAGANO
Quel que soit l’employeur aujourd’hui, il a une obligation de moyen renforcée de santé morale et physique des salariés :
Ces obligations sont souvent oubliées de la part de l’employeur, cependant et en vue de la présomption de responsabilité de celui-ci, il est encore plus important de mettre en pratique les actions citées.
Cette obligation est renforcée dès lors qu’il y a un déplacement professionnel, sauf lorsque l’employeur pourra prouver qu’il a pris toutes les mesures de prévention et d’information en amont et qu’il pourra donc démontrer que le salarié vaquait à des occupations purement et uniquement personnelles.
Nos deux avocats soulignent qu’en raison des différents codes qui ont vocation à s’appliquer et l’absence de définition précise, il est essentiel de faire un “mix” des lois existantes, en s’adaptant précisément à chaque situation et déplacement professionnel.
Des textes existent, nous avions d’ailleurs fait référence à la nouvelle jurisprudence sur bleisure dans l’un de nos derniers articles, néanmoins aucune situation ne peut être comparée à une autre. Pour exemple, il peut y avoir du « leisure professionnel » et du « leisure personnel » : Maître LLOP met alors en lumière l’exemple des dîners d’affaires hors des heures de travail, qui sont hors du cadre du travail légal, mais peuvent être nécessaires à la bonne exécution d’un contrat.
En cas de litige, il est ainsi quasiment impossible pour l’entreprise de démontrer que le salarié vaquait à des occupations purement et uniquement personnelles : on peut considérer en vue de la jurisprudence citée ci-dessus qu’il y a une sorte de présomption de responsabilité renforcée de l’employeur.
Le warning de Maître TARRAGANO
“Les problématiques et questions du bleisure ne se posent pas seulement en cas de prolongation du voyage tourisme, mais se posent également pendant le voyage d’affaires lui-même : qu’est ce qui est du loisir, et qu’est-ce qui est du travail effectif ? Tout renvoi à la notion de travail effectif qui doit être encadrée par l’employeur avant le départ ”
Les questions multiples et variées autour du bleisure ont toujours existées Maître TARRAGANO souligne qu’elles étaient déjà soulevées pour les « Eductours » côté salariés et employeurs voyagistes : temps de travail, responsabilité, temps de repos ou pas, etc.
Maître LLOP ajoute alors qu’il est essentiel de créer sa propre politique interne, suivant la volonté de l’entreprise : mettre en place un “bleisure book” à destination des managers et des salariés, créé avec plusieurs services par exemple, afin de bénéficier de différentes expertises internes pour faciliter la compréhension et l’adaptation. Dans cette démarche, Bleisure.fr avait déjà produit un article préconisant de mettre en place un formalisme particulier pour déclarer une “période bleisure”, nous allons ici plus loin en vous donnant les best practices de Maître TARRAGANO pour créer un document interne pertinent et bien construit permettant d’encadrer dans sa globalité le bleisure (cf. ci-dessous).
Le bleisure est une tendance “vieille comme le monde” et non un phénomène nouveau, nous le savons tous. A l’image de la série “MadMen” qui fait état du voyage business dirons- nous… agréable ? Le voyage d’affaires était auparavant perçu comme une récompense pour le salarié et il se devait d’en profiter. Aujourd’hui, c’est le rapport inverse, le salarié doit se cacher pour profiter d’une destination business. Mais pourquoi ?
La “IT phrase” des voyageurs d’affaires
“Tout ce qui se passe ici, reste ici”
Cette phrase, entendue par la plupart d’entre nous (ou même prononcée…) résume comment peut-être perçu ce que l’on peut faire dans le cadre de ce qui reste un déplacement professionnel.
Maître TARRAGANO explique que le bleisure pratiqué par les voyageurs d’affaires a commencé à être mal vu à cause de plusieurs cas de “désaccord” ou de “divorce” entre salariés et entreprise : essentiellement lors des ruptures de contrats, certains salariés ont alors demandés rétroactivement le paiement de leurs heures supplémentaires revendiquées pour les heures de nuit hors de chez eux ou les heures de week end par exemple.
Malgré le déplacement professionnel, les salariés ont parfois à leur retour mis en avant le fait de ne pas être chez eux, d’avoir fait plus de travail effectif que prévu et ont ainsi décidé, soit à leur retour soit à la rupture du contrat de travail, le paiement d’heures supplémentaires et des dommages et intérêts pour repos de week-end et repos journaliers non pris (en invoquant des repas clients le soir, des sorties en boîte de nuit et même des week-end prolongés sur place).
Maître TARRAGANO rappelle que tout salarié, quel qu’il soit, a le droit à 11h de repos par jours et 35h le week-end. Ce qui soulève bien le besoin essentiel de définir en amont les conditions du déplacement professionnel : si rien n’a été prévu, c’est tout simplement le droit du salarié de demander rétroactivement le paiement des heures supplémentaires correspondant à :
Pour que tout se passe bien, Maître TARRAGANO indique qu’il faut prévoir en amont, fût-ce par échange de mails, en posant bien les limites du temps de travail effectif réclamé et le fait qu’il n’est pas demandé au salarié de travailler ni le soir ni le week-end en dehors de ses heures habituelles de travail.
Il faut certes privilégier la QVT (qualité de vie au travail) tant pour l’employeur que pour le salarié pour pouvoir fidéliser ces derniers, mais il est indispensable pour l’employeur de se préserver de toutes éventuelles actions ultérieures en tenant absolument compte de cette notion de temps de travail : effectif ou non. Pour cela des instructions précises doivent être données avant le départ et l’employeur doit informer par écrit qu’il ne demande aucune heures supplémentaires et n’en règlera pas en dehors des heures de travail habituelles.
Les salariés semblent être désinformés, ou comme nous avons voulu l’illustrer via la réprobation sociale du bleisure, ils n’osent tout simplement pas aller chercher l’information.
Dans l’étude de l’AFTM intitulée “Check list pour comprendre et auditer le niveau de couverture de votre entreprise”, les réponses des travel managers, acheteurs et voyageurs sont étonnantes :
A la question : « existe-t-il une règle définie lors de l’extension à titre privé d’un déplacement professionnel ? » :
Seconde question sur le bleisure : « en cas d’extension à titre privé d’un déplacement professionnel, savez-vous par quelle assurance le voyageur est-il couvert ? » :
Nous savons pourtant qu’il est dans l’intérêt de l’entreprise d’approuver, d’encadrer et de faire assumer les salariés sur leurs pratiques bleisure. Comme nous le souligne Maître LLOP, les effets positifs sont nombreux côté salarié : efficacité, fidélisation, implication, valorisation du salarié, sentiment de micro récompense, etc.
Elle nous donne également les 3 facteurs à prendre en compte côté entreprise :
Maître TARRAGANO nous rappelle qu’il convient d’organiser en amont ce qui relèvera du travail et du temps de travail effectif ou non, tant pour préserver la responsabilité de l’employeur qui doit être limitée au temps de travail effectif et réclamé, que pour la volonté du salarié de pouvoir continuer à bénéficier du Bleisure.
Maître TARRAGANO nous indique qu’il ne faut pas tenir compte uniquement de l’éloignement du domicile, qui permettrait de déduire à lui seul qu’il est en permanence à la disposition de l’employeur, étant donné que la jurisprudence peut juger l’inverse.
Il y a cependant une prise en charge et une imputabilité en accident professionnel, d’où l’intérêt d’organiser le temps de travail. La répartition du temps pendant le voyage et le déplacement est à scinder en 2 parties :
Il faut bien avoir en mémoire que le problème n’est pas la durée de vacation, mais la répartition du temps de travail effectif ou non pendant le déplacement.
C’est à l’employeur de prévoir notamment dans l’aménagement du temps ou l’organisation du travail, des questions précises sur le voyage d’affaires, pendant la durée elle-même des jours du voyage d’affaire mais également concernant l’éventuelle prolongation. Il faut que l’employeur rappelle et acte par écrit que lui seul a le monopole de la demande de réalisation d’heures supplémentaires afin que le salarié ne revienne pas avec une facture et demande le paiement rétroactif d’heures supplémentaires qui lui ait totalement échappée.
Il n’est pas inutile de rappeler que sinon le salarié peut réclamer non seulement le paiement d’heures supplémentaires mais également le non-respect de son droit à du congé hebdomadaire s’il était sur place le week end.
La solution de Maître TARRAGANO Avocat spécialisé en droit du travail :
Le passage aux conventions de forfaits jours
En cas de voyages d’affaires fréquents, et également pour les commerciaux itinérants, Maître TARRAGANO préconise de mettre les salariés en « convention de forfaits jours » pour plusieurs raisons :
L’employeur est alors préservé d’une éventuelle demande de rappel d’heures supplémentaires, les repos hebdomadaire et quotidien seront toujours dus mais seront organisés afin que le salarié puisse les prendre sur place
Pour se faire, l’employeur doit par anticipation contractualiser et faire une note qui soit opposable en précisant l’envoie en voyage d’affaires avec :
L’employeur est protégé de toutes actions éventuelles et le salarié peut prolonger son déplacement en séjour tourisme le soir, ou le week-end.
Maître LLOP et Maître TARRAGANO ont toutes deux souligné l’importance de ne plus observer le bleisure de « l’extérieur » comme bon nombre d’entreprises et de bien cibler les frontières des déplacements professionnels. Tout au long de nos échanges, elles ont rapidement fait le lien entre bleisure et bienfaits pour l’entreprise, en citant les enjeux liés aux profils des nouvelles générations de collaborateurs et aux nouveaux moyens de travail.
Ces dires rejoignent notre dernier article de ce dossier sur “la psychologie du travail et l’équilibre entre vie pro et vie perso” : les millennials ont une nouvelle manière de concevoir le travail, sont en quête d’idéal et la fidélisation est difficile due à un turnover important côté entreprise.
Le déplacement professionnel et l’acceptation de la pratique du bleisure sont donc d’excellents moyens de les fidéliser, mais pas seulement. Nous avions déjà analysé les nouveaux moyens de travail dans l’article “le management des nouvelles générations”, Maître TARRAGANO insiste ici sur l’évolution de ces pratiques : le télétravail est pratiqué par 17% des Français et 50% des salariés dans les pays nordiques. Les prévisualisations pour 2020 indiquent que ce seront 50% des salariés Français concernés par le télétravail, les entreprises doivent d’ores et déjà entrer dans cette dynamique.
Au niveau juridique, un accord national interprofessionnel a posé le principe et organisé le télétravail en 2005. La Loi Macron est intervenue et a modifié les règles et prises en charge des coûts de télétravail : il n’y a plus d’obligation de les prendre en charge.
Le télétravail est à encadrer différemment suivant sa régularité :
Ces conditions peuvent être de limiter à une ou 2 journées, limiter aux salariés à temps plein ou au minimum à 80%, limiter ou non aux CDI ou l’ouvrir également aux CDD, etc. Ce sont autant de conditions d’éligibilité et d’inéligibilités que l’employeur a intérêt à poser en amont. Puisqu’en effet le télétravail est presque devenu un droit opposable du salarié, il appartient à l’employeur de justifier de son refus, ce qui sera bien plus aisé si les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité ont été posées en amont.
Maître TARRAGANO rappelle les facilités aujourd’hui pour faire un accord même sans représentant du personnel puisque l’accord du personnel par référendum peut suffire (à 2/3). Avant il fallait un accord d’entreprise, uniquement réalisable dans les grandes structures, avec la Loi Macron il est dorénavant possible de le faire dans tous types d’entreprises en soumettant un accord au référendum des salariés.
Il était traditionnellement très anxiogène pour l’employeur de faire passer en télétravail des salariés. Avec du recul, les gains sont considérables : temps de transport réduit et qualité de vie optimisée côté collaborateur et gain matériel et énergétique côté entreprise. C’est également un moyen d’attractivité pour attirer les bons salariés, car le salarié est aujourd’hui très attaché à la QVT (Qualité de vie au travail) qui passe souvent par moins de transports, de la flexibilité et donc moins de stress.
A noter que les changements de modes de travail doivent forcément impliquer une évolution de management : le manager ou chef de service doit être formé à gérer des salariés à distance en adoptant un management plus souple, plutôt axé sur la qualité du travail effectué que sur la quantité.
Grâce au “point de vue de nos avocats”, nous comprenons l’enjeu certain des entreprises concernées par le déplacement collaborateur. Organiser en amont en observant les comportements voyageur d’affaires et en prenant en compte l’ensemble des problématiques citées, permet à l’entreprise et au collaborateur de se protéger et de pouvoir assumer, profiter et vivre pleinement des moments bleisure.
En offrant un cadre et une manière de travailler adaptée et respectant la QVT (Qualité de Vie au Travail), l’ensemble des acteurs de l’entreprise ne peuvent qu’être plus motivés et heureux dans leurs vies professionnelles, grâce aux bénéfices immédiats d’une bonne organisation.
D’autant plus que comme nous l’ont mis en avant Maître LLOP et Maître TARRAGANO, la méthodologie à suivre est à portée de mains de tous, sans complications ou contraintes particulières.
C’est donc le moment pour les employeurs de ne plus être passifs et de prendre le train en marche !
Précision : cet article n’a pas été sollicité par les professionnelles citées.
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