Pour les lecteurs pressés, retrouver une synthèse de l’article en cliquant ici
Au risque de se répéter, le bleisure n’est pas un phénomène nouveau. En revanche, il a évolué au fil du temps, s’est très largement popularisé pour devenir un concept à part entière avec ses artifices marketing masquant parfois la réalité.
Ce qui a changé ces dernières années et pourquoi les entreprises doivent s’intéresser de près à ce phénomène :
Auparavant, les premiers acteurs du bleisure étaient les chefs d’entreprises / cadres dirigeants eux mêmes. Ces derniers profitant d’un rendez vous client ou d’un salon professionnel pour rester quelques jours sur place de plus, parfois accompagnés de leurs conjoints.
Cette pratique ne posaient de problème à personne (sauf peut être au fisc si l’entreprise avait oublié de séparer la part professionnelle de la part personnelle) car ces personnes avaient un pouvoir de décision fort (voire absolu) et n’avaient donc pas besoin de se préoccuper des risques encourus par les mandataires sociaux (souvent eux mêmes). Pas de problème de hiérarchie à alerter, de tracking à gérer, de sécurité à assurer ou d’analyse comparative des coûts à gérer.
Désormais la donne à changée.Pour les générations X,Y,Z, millenials… et finalement peu importe l’année de naissance, Le voyage est devenu plus simple, plus facile et moins onéreux grâce aux compagnies low costs notamment (fin 2016, Transavia surfait sur le bleisure avec une campagne publicitaire intitulée Work & Fun).
Sans rentrer dans une analyse psychologique ou comportementale des différentes générations, je peux affirmer que désormais le bleisure fait parti des pratiques courantes. Cette affirmation est fondée sur des études et de nombreuses discussions avec des voyageurs et entreprises (RH, travel managers,…).
En France des études montrent, des chiffres stables dans le temps : 20% des employés (source CWT, le baromètre Déplacements Pros-3Mundi – 2016) pratiquent le bleisure. D’autres études indiquent même que 40% des plus jeunes sont adeptes du bleisure (Business and Travel Technology – 2016).
Aux USA la tendance est encore plus forte d’après PhocusWright (2016), qui annonce que près de la moitié des voyageurs d’affaires prolongent au moins un de leur déplacement chaque année (1,4 fois / an pour être précis selon CWT et plus le voyage est loin, plus le taux de bleisure est fort).
Qui a envie de partir loin, en classe éco (merci la crise et le durcissement des politiques), générer du stress, pour au final ne voir qu’un hall d’aéroport, la chambre d’un hôtel impersonnel et des bureaux finalement très similaires aux leurs ? Le bleisure permet justement de compenser cela et d’apporter une satisfaction personnelle aux voyageurs.
Le bleisure, c’est évidemment prolonger ou avancer son déplacement professionnel à titre personnel, mais cela peut être plus simple : aller visiter une exposition en soirée, aller jouer au golf ou faire du shopping dans un « outlet » avant de reprendre son avion.
C’est à partir de ce postulat que peuvent commencer les problèmes….
Souvent quand j’échange avec les entreprises (DRH ou Travel managers) je constate majoritairement trois types de comportements adoptés par les entreprises :
- La politique de l’autruche : Ils savent que cela existe, mais n’ont aucune idée des volumes en jeu et rien n’est fait pour encadrer et analyser cette pratique
- Le déni : Ils s’en préoccupe tellement peu qu’ils pensent que cela n’est pas pratiqué sauf par une infime minorité de salariés
- L’interdiction : Interdiction absolue de prolonger son déplacement, sans réelle analyse préalable de la situation. Au final, c’est un peu comme la prohibition… tout le monde sait que c’est interdit… mais …
Globalement, à part quelques exceptions, les entreprises n’ont fixées aucune règle pour encadrer cette pratique. Compte tenu de l’ampleur et de l’effet médiatique, il est sûr que les entreprises s’y intéressent… mais cela n’est, généralement, pas encore traduit par des faits, pratiques, préconisations ou en politiques internes.
Les étapes pour une bonne intégration du bleisure en entreprise
La législation autour du bleisure est encore assez floue. Les juristes parlent d’une zone grise. Si ce n’est pas réglementé… alors ce n’est pas prioritaire ?
Légalement, l’entreprise est responsable de son collaborateur durant toute la durée de son déplacement professionnel. Cela commence au moment où il quitte son domicile, jusqu’à son retour dans son foyer.
Mais alors que se passe t il si le collaborateur se blesse alors qu’il prolongeait à titre personnel son déplacement ?
C’est la zone grise que je mentionnais… La réponse pourrait être « ca dépend » ! Et comme l’écrivait l’équipe du Splendid… « ca dépend… ca dépasse ».
Les dernières jurisprudence nous donnent des éléments de réponses (cf notre article « Bleisure et responsabilité »)
La jurisprudence est claire et constante depuis 2001 : « le salarié, effectuant une mission, a droit à la protection prévue par l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale pendant tout le temps de la mission qu’il accomplit pour son employeur, peu importe que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante, sauf la possibilité pour l’employeur ou la caisse de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel » |
L’article détaille le processus à mettre en place pour que les rôles et responsabilités des voyageurs / entreprises soient clairs.
En résumé, il faut mettre un nouveau type de circuit de validation pour encadrer et limiter la responsabilité de l’entreprise.
Techniquement, c’est assez simple à mettre en place. Cela pourrait d’ailleurs être fait dans la majorité des outils SBT ou gestion des frais professionnels implémentés dans les entreprises (si tant est que l’entreprise utilise une solution différente d’excel bien sur… mais c’est un autre sujet !)
Donc, le cadre légal est finalement assez clair et la technologie facile à mettre en place.
Maintenant que le rappel juridique est fait, la première étape doit être l’analyse du besoin (pour l’entreprise, presque plus que pour le collaborateur).
Pourquoi l’entreprise doit s’intéresser au bleisure ? Quel est son intérêt ?
Pour des raisons légales et limiter sa responsabilité
C’est un fait, le bleisure est pratiqué. Il faut donc que l’entreprise puisse mettre en place les processus, règles et outils pour limiter sa responsabilité juridique (pénale pour les mandataires sociaux) en cas de problème.
Pour des raisons économiques
Certains vols ont une tarification inférieure avec une nuit à destination le week end par exemple ou en fonction de la durée (tarification loisir au lieu d’affaires),…
Pour des raisons sociales
On voit les logos du type « best place to work » se multiplier, de nouveaux postes sont créés « chief hapiness officer » et globalement le bien être au travail est une nouvelle tendance de plus en plus intégrée par les managers. Ce n’est pas seulement un artefact marketing, c’est une façon pour l’entreprise d’acquérir de nouveaux talents et de retenir ses collaborateurs.
Le bleisure y contribue ! De plus c’est une façon de compenser une politique voyage restrictive et de participer à l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle, attente très forte des générations les plus jeunes (qui en 2020 représenteront la majorité des collaborateurs en entreprise).
Pour des raisons de performance
Un collaborateur qui prend une journée avant pour visiter, s’accommoder du décalage horaire, de la langue est plus performant lors des réunions à venir, que le même personne arrivant directement de l’aéroport à sa réunion.
Il en est de même dans le cas de prolongation, le collaborateur reviendra à son bureau plus reposé et motivé.
Pour des raisons de transparence
Le bleisure est pratiqué plus qu’avoué… Les collaborateurs craignent particulièrement les jalousies.
Si les règles sont clairement exposées, alors la perception de privilège devient une pratique, juste, cohérente et encadrée.
Définir des règles
L’entreprise, doit également définir et communiquer des règles applicables (par exemple) :
- Le bleisure est il autorisé dans tous les pays ?
- Quelles informations le salarié doit fournir (localisation précise sur la partie bleisure, niveaux de risques estimés, sports pratiqués,…) ?
- Comment contrôler la bonne séparation des dépenses personnelles v s professionnelles
- Comment contrôler l’impact sur les coûts de transports ?
- Quel est le circuit de validation à mettre en place (information RH, manager, absence et pose de congés,…)
Dans cet article j’ai pris le partie d’imaginer que l’entreprise a intérêt à encadrer voire encourager le bleisure.
Un autre point de vue pourrait être de dire que c’est simplement et formellement interdit. Même dans ce cas il est nécessaire d’analyser les enjeux, les risques et de mettre en place une politique de communication. Mais pourquoi vous privez de tant d’avantages, sociaux et financiers ? Encourager le bleisure c’est un peu comme permettre une dose de fun sans surcout ni risque pour l’entreprise.
En résumé, pour les lecteurs pressés :
Le bleisure, bien que pratique ancienne, se développe énormément ces dernières années.
Différentes études indiquent que pour les américains, c’est une pratique réalisée par près de la moitié des voyageurs. En France, les chiffres tournent autour de 20% avec 40% pour les plus jeunes.
A ce jour, les entreprises s’intéressent à cette pratique, mais concrètement, très peu traduisent cet intérêt par des faits (pas d’analyse des enjeux, pas d’inscription à la PVE, pas d’évolution des outils pour protéger juridiquement l’entreprise).
Un cadre juridique un peu flou, mais dont plusieurs cas de jurisprudence permettent d’en dessiner plus précisément les contours (cf notre article « Bleisure et responsabilité »).
Pourquoi l’entreprise doit sérieusement réfléchir à encadrer / encourager le bleisure ?
- Pour des raisons juridiques :
- Analyser / mettre en place des règles lui permet de protéger ses mandataires sociaux, réduire ses risques
- Pour des raisons économiques :
- Tarifications des vols loisirs vs affaires avec un jour sur place le week end,…
- Pour des raisons sociales :
- Bien être au travail, équilibre vie professionnelle vs privée,
- Pour des raisons de performances :
- réduction du stress des voyageurs, adaptation locale plus facile, repos,…
- Pour des raisons de transparences : Fini la sensation de privilèges accordés à certains et bonjour à une pratique juste, claire et cohérente
L’entreprise doit définir les règles applicables (périmètres, séparation et contrôle des dépenses personnelles vs professionnelles, tracking / sécurité, …) et les communiquer aux collaborateurs.